Parce qu'on ne dit pas DJette
Parce qu’on ne dit pas DJette
2021, cela fait environ 1 an que nous subissons la pandémie du Covid 19. Je suis chez moi, je vois le monde de la musique et particulièrement de la musique électronique évoluer, changer, muter. Je vois des DJs set "maison" se mettre en place, des DJs devenir doucement producteur, des producteurs devenir DJ. À ce moment là, mon envie de faire de la photo autour de la musique électronique et du monde de la nuit devient de plus en plus présente. Je prends le temps de construire mon sujet et après quelques envois de messages et coups de téléphone, je commence à faire le portrait de DJs que j'ai pu cotoyer/croiser ces dernieres années (Joe Lewandowski, Victtoria, Baz, Maxye).
Comment le Covid avait fait évoluer leur facon d’aborder la musique ? Tel était le thème de ce mini documentaire nommé « Dis’covid ». Dans ce projet, une rencontre va finalement faire le pont avec ce nouveau documentaire que je vous présente aujourd'hui : ma rencontre avec Arabella Coste (A.r.a du collectif Bande de Filles).
Une après midi d'Avril, on parle de son parcours, ses aspirations, ses doutes, ses réussites mais aussi ses projets futurs. Vient alors dans la discussion son idée de plateforme "Connect'her" qui regrouperait l’ensemble des femmes qui sont aujourd'hui DJ en France. À la suite de ces discussions, elle me propose de couvrir les 1ères sessions d'atelier mix et de conférences qu'elle organisera à la Machine du Moulin Rouge. Je vois, à travers mon objectif, de l'entraide entre filles qui décident de se lancer, des conférences inspirantes sur comment réussir en tant qu'artiste dans la musique électronique, ainsi que des témoignages de différents profils féminins qui partagent leurs expériences positives comme négatives. je suis touché par ce que je vois et, alors que j'ai envie de continuer à documenter ce milieu, je décide de traiter cela à travers le prisme des femmes.
Pourquoi le milieu des Djs est il encore si inégalitaire ?
Pourquoi est il si difficile de se lancer pour une femme ?
Quelles sont les difficultés rencontrés quand on veut devenir DJ et en faire son métier ?
Quel est l'envers du décor de ce monde de la nuit ?
Qui se cache derrière ces noms de scène que les DJs utilisent si souvent ?
Quel rapport ont elles à leur image et aux réseaux sociaux ?
Toutes ces questions que j'ai posés à ces 11 profils variés à travers ce nouveau documentaire : "Parce que l'on ne dit pas Djette"
“En vérité, si y'avait pas eu autant de filles ... je crois que je me serais jamais lancé”
Bassiste de formation, Elona est tombée raide dingue amoureuse du groove que provoque son instrument de prédilection. Une manière pour elle de ressentir le rythme. De la basse, elle est passée derrières les platines tout en continuant de produire des sons. Plus à l’aise avec une basse que derriere les platines, elle considère pourtant que mixer est une façon d’être quelqu’un qu'elle a vraiment envie d’être. Quelqu'un de plus ouverte et de plus créative.
“Un jour je rêve de porter une belle robe paillette et de briller sur scène”
Son aise dans le mix s’est également améliorée grâce à la sororité qui règne depuis plusieurs mois dans le milieu. Elle s’y sent à l’aise de poser les questions qu’elle veut (notamment grâce au projet Bande de Filles) et ça l’a fait sortir d’un certain jugement qu’il peut y avoir quand on rentre dans un milieu très masculin.
Pendant notre entretien, nous avons beaucoup échangé sur la programmation d’artistes où elle y regrette des programmations forcées où on place des femmes dans des line up musicalement non cohérents. Respecter de programmer une fille, c'est respecter son univers, le comprendre et l’intégrer dans une programmation de club cohérente artistement. Pas seulement un nom sur un line up.
“Produire, c'est un sentiment très libérateur pour moi, comme une sorte d'empowerement”
Multi instrumentiste et passionnées par l'apprentissage de ces plusieurs instruments (piano, guitare…), Sarah est également DJ et aime mixer de la musique orientale mélangée à de l’électro et de la disco. Un mélange qui est notamment lié à ses origines juives. Il lui tient à cœur de faire dialoguer la musique liée à son héritage culturel avec la musique électronique d'aujourd'hui. Ça lui permet d’exprimer la complexité d’un soi intérieur (d’où on vient, qui on est). C’est également libérateur pour affirmer qui tu es dans le monde et les combats que tu portes.
“J’aime bien glisser des samples de discours féministes dans mes productions”
L’auto censure et le manque de confiance en soi sont les 2 principales causes qui empêchent plus de filles à se lancer selon elle. Notamment sur le coté technologique lié à la musique électronique (platines, logiciels, ...). C’est ce qui l’a aussi motivée à lancer la branche France de l’association Beatz by Girls et à proposer des ateliers aux filles qui ont toujours eu une appréhension à se lancer.
"Pour les filles, c'est un monde qui est fait pour les mecs, on pense que les mecs ont un instinct pour ça, alors que c’est faux"
“Le plus important quand j'ai commencé, ca a été avant tout d'être bien entourée”
Après 10 ans de conservatoire à apprendre plusieurs instruments, c’est son grand frère qui lui a fait découvrir l'envie de mixer, les vinyles et la musique house. Toujours entourée par des hommes depuis qu’elle s’est prise de passion pour la musique électronique, elle n’a pourtant pas souffert de jugement ou de machisme. Des sessions mix avec son frère à l’association de musique de son école, tout le monde fut bienveillant envers elle. D’où son point d’être bien entourée, au delà du genre, et que ce sont ces personnes qui t’entourent qui te donnent la confiance et qui te font avancer.
Pour autant, quand elle est arrivée à Paris, elle apprend la connaissance du collectif Bande de filles et c'est la 1ere fois qu'elle rencontre des DJ professionnelles. Un réseau qu’elle considérera comme précieux pour elle jusqu’à faire plusieurs aller retour à Paris alors qu’elle étudiait à Lille. Il y a, selon elle, un vrai aspect vertueux pour les filles de s’identifier à d’autres filles. Il est vrai qu’auparavant, l’identification était plutôt liée à des profils de DJs internationales et inaccessibles. Aujourd’hui, il est possible de s’identifier à des filles à l’échelle plus locale.
“Quand je mixe, c'est pas du théâtre, je ne joue pas un personnage. Par contre c'est une autre Eugénie qui joue. Une Eugénie qui a confiance en elle, qui est énergique.”
Comme Tatie Dee, EG considère qu’il ne faut pas être seul dans ce monde là. Il faut savoir sur qui tu peux compter. L’éphemère émotion que provoque l’ambiance du club peut parfois prêter à confusion. Grande amie de Tatie Dee, elles réussissent toutes les deux à se soutenir dans cet univers où les femmes ont besoin de confiance en elles et de soutien moral pour avancer (comme tout le monde d’ailleurs). Plutôt réservée dans la vie, Eugénie assume qu’EG est un peu comme son “p’tit diable qui va venir allumer la mèche”. Finalement, comme Elona, être DJ et mixer se rapprocherait peut être d’une thérapie.
“En tant qu’archi, je suis une femme, ça choque personne, alors que DJ, je sens que y’a encore un p’tit truc…”
Entre cabinet d’architecture la semaine et clubs le week end, EG arrive à trouver un équilibre jusqu’à dernièrement ou elle a décidé de vivre de sa passion à Bruxelles.
Son point de vue sur la question est simple : Quand on arrêtera de parler de la question des femmes, c’est que le problème sera réglé.
“À l’époque, quand y'avait une fille sur une line up, c’était ... waw ! Aujourd'hui, ça a beaucoup évolué.”
Danseuse depuis l’age de ses 3 ans, Najet a commencé à chiner des sons pour danser dès son plus jeune âge. Son lien avec la musique house est surtout liée à ses parents et notamment son père qui avait une culture house et hip hop.
“Les mecs me montraient bien du doigt ce que je faisais de mal … avec très peu de bienveillance”
Il y a plusieurs décennies, les DJ étaient cachés, peu montrés dans les boites de nuit alors qu’aujourd’hui la représentation de ce qu’est un DJ est devenu plus prédominante. Le ou la DJ est mise en avant, mis au centre de l’attention en club et le genre devient une question beaucoup plus visible aujourd’hui (égalité H/F sur les line up). Partie prenante de la fondation du collectif Bande de Filles, Najet (avec ses amies Arabella et Léa) a crée ce collectif tout simplement car le constat tombait sous le sens : pas assez de filles représentées. L’expérience d’avoir du mal à avoir des dates en tant que DJ a aussi motivé la création de ce réseau d’entraide.
Aujourd’hui, pas une semaine ne passe sans qu’il y ait une fille qui se rajoute au reseau et qui ait la volonté de mixer.
Oui la carrière de DJ d’Ecran Total a commencé dans un bar qui s’appelle le “Schmuk”. Une amie l’emmène la bas, mixe pendant la soirée et Camille veut absolument reproduire ça plus tard. De rencontres en rencontres, elle a commencé à mixer en duo. Une période où on passait encore des CDs (sur lesquels on écrivait l’artiste au marqueur) et on mixait sans casque. Nourri pas plein d’influences différentes et par plusieurs nuits passées au mythique club du Djoon, Camille a commencé par mixer du rock dans des bars puis s’en est allée vers la disco puis la house dans des clubs de plus en plus grands.
“Je veux souligner la théâtralité dans mes DJ Set en apposant des samples de théâtre dans mes sets”
De formation théâtrale, Camille aime mélanger la prestation théâtrale à ses DJ Sets (travail des lumières, scénographie intégrée au set…). Cette dualité est d’ailleurs une inspiration pour elle car elle est en train de monter une pièce sur la nuit et la culture club.
“Je n’ai pas forcement eu de bâtons dans les roues, mais je sentais qu’on ne me prenait pas au sérieux”
Les femmes se fédèrent aujourd’hui et c’est ça qui fait que ça bouge. L’ancrage est très fort dans ce milieu (et dans d’autres), c’est donc à elles de faire avancer les choses et de faire valoir leur solidarité. Le milieu ne se régulera pas par lui même. Le monde idéal serait qu’on ne valorise plus le fait que certains DJ sont des femmes, que l’on arrête de communique sur cet aspect-là mais plutôt qu’on valorise l’aspect artistique de la personne sans la définir par son genre.
Après une enfance/adolescence entre les grandes tours de Puteaux, proche de la Défense, Alicia décide de partir retrouver ses origines parentales en allant plusieurs années étudier au Liban, à Beyrouth plus exactement. C’est là bas qu’elle goute à la fête et qu’elle s’est passionnée par le mix et l’envie de transmettre son énergie sur scène.
“Après ma 1ere réunion Bande de Filles, je me souviens m’être dit : Ça fait du bien de rencontrer des filles qui font les même choses que moi”
À la différence de Beyrouth, Alicia ne s’est pas du tout sentie en concurrence à Paris. L’entraide entre filles était naturelle et spontanée et permettait à chacun d’avancer ses pions. Pour Alicia, s’entourer d’une bookeuse lui a permis d’être plus prise au serieux et derrière son nom, d’y mettre plus de professionnalisme. Les relations directes étant trop inégales comparées à ses camarades masculins d’où la volonté d’avoir un intermédiaire.
“T’es sûre que tu sais les utiliser les machines ?”
Comme toutes les DJs que j’ai interviewées, Alicia m’a raconté pléthore d’anecdotes machistes sur l’utilisation du matériel, sur le fait d’être une femme, d’être “jolie” derrière les platines ou encore de faire les balances de son à leur place. Des anecdotes qui marquent encore le travail qu’il y a à effectuer sur la représentation qu’on a des femmes dans notre société.
Dans ce projet documentaire, j’ai eu à cœur de diversifier les profils et j’ai voulu entendre le témoignages de femmes (comme Anaïs) qui ne sont pas nécessairement DJ mais ont décidé de participer à des ateliers de formations au mix. Ça m’intéressait de connaitre leurs motivations et comment (ou non), ça avait pu créer une dynamique dans la volonté d’en apprendre plus et pourquoi pas se professionnaliser. J’ai donc rencontré Anaïs à un atelier mix organisé par Connect’her et elle a gentiment accepté de me parler d’elle et de son rapport à la musique électronique.
“Je pense que je me suis jamais trop sentie légitime, en tant que femme”
C’est à travers Nojadis, sa cousine DJ, qu’elle a rencontré Arabella et qu’elle a découvert ses ateliers. Depuis pratiquement le primaire, Anais savait déjà que la musique électronique lui correspondait, que ce soit en bidouillant des logiciels de production à l’adolescence jusqu’à passer du temps au Batofar découvrir de nouveau artistes. Mais malheureusement, Anaïs se sentait bridée, entourée par ses pairs masculins. Elle s’est rendue compte que le monde de la nuit est un milieu qui n’est pas encore “safe” à 100%, surtout qu’on est une fille. Un monde où on objectifie un peu trop les femmes ce qui empêche d’être légitime ou de s’exprimer de manière libre. Les sessions de Connect’her lui ont alors apporté une bouffé d’air frais, sans concurrence, et avec une vraie bienveillance.
“J’avais du mal à exprimer ma féminité dans ce milieu”
Aujourd’hui, après avoir plongé ses oreilles dans ses vieilles mixtapes, Anaïs a envie de retravailler sérieusement la musique, continuer à progresser et affirmer qui elle est à travers cela. Elle voit de plus en plus de femmes qui l’inspirent et lui donnent de la force et se sent portée par cet élan de liberté et de sororité.
Avec un diplôme en management de la culture, Aline a une vraie volonté de se professionnaliser et de vivre de la musique. Elle a pu aussi bénéficié des cours ponctuels avec Connect’her jusqu’à même suivre une formation de production et de gestion à Pantin. Comme beaucoup des profils precedents, Aline a aussi fait plusieurs années de saxophone et de piano, qui l’ont aidé dans la pratique du mix. En plus de vouloir avancer dans le coté artistique, elle a également développé un festival qui s’appelle les Frairies Buissonnières dans l’Est de la France.
“J’ai l’impression qu’on a, nous les filles, le syndrome de l’imposteur”
Pas l’impression d’avoir subi le machisme grace à la bienveillance de son entourage. Malgré tout, elle sent que les femmes qui l’entourent se sentent jugées, qu’elles se comparent beaucoup et que ca les empêche d’avancer librement.
“Malgré une société très patriarcale, il y a beaucoup plus de femmes DJ en Corée, qui sont solidaires entre elles”
Influencée par la musique par ses parents, Myriam a développé sa culture musicale à travers son ipod et ses longs trajets en transport en commun. Elle sait rapidement que c’est ce qui l’anime et c’est pendant un échange universitaire à Seoul qui finalement dura 3 ans, qu’elle prend ses aises derrières les platines et qu’elle commence à comprendre comment fonctionne le milieu des clubs et de la nuit.
“Ça a été un long processus pour apprendre, c’était une question de confiance en soi. Il fallait que les gens me disent : ‘continue de mixer’ ”
En revenant de Séoul, Myriam s’est posée et a utilisé ses études en commerce pour essayer de comprendre concrètement l’industrie en France et essayer de savoir comment se positionner, quels étaient les bons interlocuteurs … Mais quand elle prend du recul sur son expérience, elle se rend compte que ce qui l’empêcha d’avancer au rythme qu’elle voulait, c’était la confiance en soi.
“Maintenant, il faut que la parité se fasse derrière dans l’industrie. Qui sont les bookeurs, qui sont les directeurs ?”
Comme Anaïs, j’ai rencontré Léa lors d’une session mix de Connect’her. Elle m’a gentiment accueilli chez elle pour recueillir son témoignage.
“J’étais quand même un peu stressée avant d’aller au cours de Connect’her. Quand tu connais pas grand chose, ça parait toujours impressionnant malgré la bienveillance. Alors qu’en fait, toutes les filles sont comme moi et recherchent la même chose”
C’est une visite pour aller voir son cousin à Berlin que Léa a commencé à éveiller une curiosité envers le monde de la nuit. Entre Toulouse et l’Allemagne elle voit la scène électronique évoluer et elle sent que les femmes prennent de plus en place dans ce milieu jusqu’à en faire un mémoire.
“Mes potes m’ont offert une cagnotte pour m’acheter mes platines, mais je sais pas pourquoi je ne les ai toujours pas achetées”
Malgré une forte amitié et une bienveillance, elle s’est rendue compte que c’était parfois compliqué d’aller plus loin dans sa passion de DJ quand on est dans un univers masculin. Argument qu’il l’a poussée à aller vers des structures comme Connect’her. La figure du DJ a évolué ces dernières années et est rendue plus accessible. Alors qu’elle avait du mal à s’identifier à des femmes DJs internationales, aujourd’hui elle se retrouve plus dans des profils par exemple parisiens.